Règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales : une « une période de latence forcée » du bailleur avec son locataire condamné à déguerpir

Par  Me Romain BUCCI, Avocat à la Cour et Me Aurélie PETERSEN, Avocat à la Cour, Krieger & Associates
2 juillet 2020 par
Emilie Clément

Tout bailleur qui entend voir déguerpir son locataire doit disposer d’un titre exécutoire, respectivement d’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée.

Toute décision judiciaire condamnant le locataire à déguerpir des lieux litigieux avec tous ceux qui l’occupent dans son chef fixera un délai endéans lequel ce(s) dernier(s) devra/devront s’exécuter.

A défaut, le bailleur sera autorisé à procéder à son/leur expulsion forcée.

Dans pareille situation, le « bon locataire » dispose cependant de la possibilité d’introduire un ou plusieurs sursis au déguerpissement.

Pour bénéficier de ladite protection, le locataire devra justifier de certaines conditions.

Concernant le bail à usage d’habitation, il y a lieu de se référer aux articles 16 à 18 de la loi du 21 septembre 2006.

Concernant le bail à usage commercial, l’article 1762-9 issu de la loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil fixe les conditions pour bénéficier d’un sursis au déguerpissement.

Qu’il s’agisse d’un bail à usage d’habitation ou d’un bail à usage commercial, le locataire devra « mériter cette faveur » Autrement dit, tous les loyers et avances sur charges échus devront être réglés au jour de l’introduction de la demande en sursis.

A défaut, le tribunal déclarera la demande en sursis irrecevable sinon non fondée.

En date du 25 mars 2020, le gouvernement a pris un règlement portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales.

L’article 5, alinéa 1er du règlement dispose que :

« Les déguerpissements ordonnés en matière de bail à usage d’habitation et de bail à usage commercial sont suspendus ».

Ledit article 5 permet ainsi à tout locataire qu’il soit « bon » ou « mauvais » de profiter de la même protection que celle d’un sursis à déguerpissement sans avoir à justifier des conditions légales, le bailleur n’étant plus autorisé à procéder à l’expulsion pendant la durée de l’état de crise qui a été décrétée pour une durée de trois mois par règlement grand ducal du 18 mars 2020.

Cela signifie que quelle que soit la cause de la résiliation et de la demande en déguerpissement en découlant, ledit déguerpissement est suspendu. Ainsi, un locataire ayant vu son contrat de bail résilié pour faute (non-paiement de loyers, manquements aux obligations de jouissance paisible,…) bénéficiera de cette suspension.

Cela signifie également qu’un déguerpissement suite à un titre consécutif à une résiliation pour besoin personnel bénéficiera de cette suspension.

De façon corrélative, le déguerpissement étant suspendu, cela signifie que le preneur dont le contrat de bail a été résilié reste tenu pendant la durée de la suspension du déguerpissement au paiement du loyer, sinon d’une indemnité d’occupation de l’ordre du montant du loyer.

La question qui se pose est celle de savoir si au terme de la période d’état de crise, il faudra recommencer la procédure. Ici, il convient de se référer à la rédaction de l’article 5 précité. Cet article prévoit « une suspension ». Cela signifie qu’une fois la période de crise terminée, les opérations de déguerpissement reprendront leurs pleins droits et il sera possible d’y recourir sans obtenir au préalable un nouveau titre.

Il n’en est pas forcément de même en ce qui concerne l’indemnité d’occupation. En effet, le titre sur lequel les parties s’appuient est celui antérieur à l’entrée en vigueur du règlement grand- ducal. Or, dans ce titre, l’on trouve bien souvent un délai suite auquel le déguerpissement est autorisé, dans la plupart des cas ledit délai correspondant aux quarante jours du délai d’appel. Les tribunaux, au moment d’exécuter ledit jugement n’éprouvent pas la moindre difficulté à  se servir dudit jugement pour exécuter celui- ci autant pour la période antérieure que pour la période allant jusqu’à la date du déguerpissement. Or, du fait de la suspension issue de l’article 5 précité, cette période jusqu’au déguerpissement est allongée. Si le tribunal chargé de l’exécution ne prend pas en compte cette période de suspension alors la bailleur n’aura d’autre choix que d’introduire une nouvelle demande afin d’obtenir un nouveau titre portant sur la condamnation du preneur au paiement des loyers, sinon de l’indemnité d’occupation sans droit ni titre pour la période correspondant à celle de la suspension du déguerpissement.

Le preneur pourrait-il profiter de cette période de latence pour se prévaloir de l’existence d’un nouveau contrat de bail ? Ici, il convient de rappeler que l’article 5 ne fait état que d’une suspension du déguerpissement. L’intention du bailleur de mettre fin au contrat de bail n’a donc pas changé. Ce dernier ne peut simplement plus exercer son droit de voir exécuter le jugement obtenu. Il est mis devant le fait accompli de ne pouvoir exercer son droit, celui-ci étant suspendu. En outre, la notion de suspension sous-entend celle qu’il n’y a pas de rupture quand à l’existence du droit, mais simplement que celui-ci ne peut être exercé.