Droit à la déconnexion: quels impacts pour l’employeur?

Source : Paperjam
10 novembre 2021 par
vanessa Icardi Serrami

Le Projet de loi visant à introduire le droit à la déconnexion dans le Code du travail a été déposé à la Chambre des députés le 28 septembre 2021. À quelles nouvelles mesures et obligations les employeurs doivent-ils se préparer en la matière?

Très largement inspiré de l’ avis du Conseil Économique et Social du 30 avril 2021 sur le droit à la déconnexion, le Projet de loi [1] déposé en septembre entend insérer dans le Code du travail une nouvelle section intitulée «Le respect du droit à la déconnexion», qui viendrait compléter les obligations légales de l’employeur en matière de protection, de sécurité et de santé des salariés [2] .

En effet, si de nombreux avantages peuvent découler d’une bonne utilisation des outils numériques dans la sphère professionnelle (plus grande flexibilité, plus grande autonomie, réduction des temps de trajets, meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée...), les risques et effets néfastes d’une non-déconnexion sont également bien identifiés aujourd’hui, notamment en termes d’intensification du travail, d’allongement du temps de travail, de santé physique et mentale, de sécurité et de bien-être.

Le texte déposé, actuellement soumis à discussions parlementaires, prévoit les mesures suivantes:

Obligation de définir un régime spécifique assurant le respect du droit à la déconnexion: dans les entreprises dans lesquelles les salariés utilisent des outils numériques à des fins professionnelles, un régime assurant le respect du droit à la déconnexion en dehors du temps de travail devra être défini, au niveau de l’entreprise ou du secteur concerné.

Contenu du régime spécifique: ce régime devra être adapté à la situation particulière, aux spécificités et aux problématiques de l’entreprise ou du secteur en question, et porter, le cas échéant, sur:

-       les modalités pratiques et les mesures techniques de déconnexion des outils numériques,

-       les mesures de sensibilisation et de formation,

-       les modalités de compensation dans le cas de dérogations exceptionnelles au droit à la déconnexion.

Mise en place du régime spécifique: le régime pourra être défini par voie de convention collective ou d’accord subordonné. À défaut, il sera à définir au niveau de l’entreprise.

Implication de la délégation du personnel: l’introduction et la modification du régime assurant le respect du droit à la déconnexion en dehors du temps de travail se fera obligatoirement après information et consultation [3] de la délégation du personnel, lorsqu’elle existe, ou d’un commun accord [4] avec cette dernière dans les entreprises comptant au moins 150 salariés.

À défaut de délégation du personnel, les travaux parlementaires préconisent que l’employeur définisse le régime spécifique et en informe les salariés.

Sanction et mesures transitoires: toute infraction aux dispositions de la loi serait passible d’une amende administrative de 251 à 25.000 euros prononcée par le Directeur de l’ITM. Toutefois, cette mesure n’entrera en vigueur qu’un an après la publication du Projet de loi sous forme de Loi au Mémorial, et 3 ans après cette date pour les entreprises couvertes par une convention collective ou un accord subordonné.

Cette sanction, dont l’entrée en vigueur différée laisserait le temps aux entreprises de se conformer à leurs nouvelles obligations, sera appliquée en tenant compte des circonstances (dont par exemple la taille de l’entreprise), de la gravité du manquement, ainsi que du comportement spécifique de l’auteur après constatation de l’infraction.

Négociation obligatoire dans les entreprises couvertes par une convention collective ou un accord subordonné: le Projet de loi prévoit enfin d’inclure «les modalités du régime assurant le respect du droit à la déconnexion en dehors du temps de travail» dans la liste des sujets de négociations collectives obligatoires et dont le résultat doit obligatoirement être consigné dans la convention collective ou l’accord subordonné [5] , lorsqu’il en existe.

Si le cadre légal du Projet de loi apporte quelques orientations générales, il laisse aux employeurs la tâche de définir concrètement, avec le concours de la délégation du personnel lorsqu’elle existe, les mesures et les mécanismes qui, en pratique, permettront d’assurer le droit à la déconnexion des salariés dans leur entreprise.

Quelques pistes du Conseil Économique et Social ont toutefois été reprises dans les travaux parlementaires. Ainsi, une entreprise pourrait, par exemple:

-       élaborer une charte ou organiser des séances d’information pour sensibiliser les salariés sur l’importance de la déconnexion, et les guider quant au bon usage des outils numériques et des courriels. L’accent pourrait également être mis sur des formations ciblées pour adapter les mentalités et permettre le développement de comportements responsables (utiliser les courriels et autres outils numériques professionnels à bon escient, éviter les pratiques invasives...);

-       décider de bloquer l’accès au serveur de l’entreprise pendant certaines plages horaires journalières et hebdomadaires;

-       demander aux salariés de laisser les outils numériques dans les locaux de l’entreprise lorsqu’ils quittent ceux-ci.

Dans tous les cas, l’entreprise resterait libre de décider des mesures visant à faire respecter le droit à la déconnexion des salariés utilisant des outils numériques à des fins professionnelles.

Le Projet de loi déposé vient officialiser le droit à la déconnexion en lui consacrant un régime légal spécifique et en incitant les employeurs à s’emparer du sujet, sous la contrainte d’une amende administrative, le cas échéant. Rappelons toutefois que, de fait, le droit à la déconnexion existe déjà dans le Code du travail: les règles protectrices du salarié en matière de durée du travail, de repos et de congés, l’obligation générale de l’employeur d’assurer la sécurité et la santé de tous les salariés et les attributions de la délégation du personnel dans ces domaines, concourent en effet déjà à l’existence du droit, pour les salariés, de ne pas être continuellement connectés à l’entreprise et au travail [6] .

Écrit par Dorothée DAVID, Juriste en droit social - Head of Knowledge, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg


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[1] Projet de loi n° 7890 portant modification du Code du travail en vue d’introduire un dispositif relatif au droit à la déconnexion.

[2] Articles L.312-1 et suivants du Code du travail.

[3] Cf. article L. 414-3 du Code du travail tel que modifié par le Projet de loi n° 7890.

[4] Cf. article L. 414-9 du Code du travail tel que modifié par le Projet de loi n° 7890.

[5] Cf. article L. 162-12 (4) du Code du travail tel que modifié par le Projet de loi n°7890.

[6] La jurisprudence reconnait également le droit à la déconnexion du salarié pendant ses congés : Cour d’appel, arrêt du 2 mai 2019 n° 45230 du rôle.