Crise du Covid-19, Avocat et « Paperless Justice »

Par Dr. Eric PERRU, Director – Avocat à la Cour, Wildgen
23 juillet 2020 par
Emilie Clément

En ce temps de confinement lié à l’épidémie mondiale de coronavirus, la place de l’outil informatique est prégnante. Télétravail, enseignement en ligne, télémédecine, loisirs sur la toile occupent une place prépondérante dans la vie de la société. Pourtant, certains secteurs qui ne bénéficient pas d’une intelligence artificielle suffisamment développée, se trouvent extrêmement ralentis : c’est notamment le cas de la Justice. Les tribunaux sont en règle générale fermés au public, les audiences non urgentes en principe reportées, les délais suspendus… en attendant la reprise complète du système. Chacun comprend que des circonstances exceptionnelles, telles cette épidémie mondiale, puissent bloquer en tout ou partie notre système judiciaire. Malgré ces circonstances particulières, de nombreux acteurs du monde judiciaire continuent à travailler, pendant toute la durée du confinement : en particulier, les avocats de l’Etude Wildgen se mobilisent et s’organisent dans l’intérêt de leurs Clients et de la Justice. Ils anticipent le moment de la reprise, en préparant leur Etude pour garantir une sécurité sanitaire à leurs Clients et à leur personnel, et en continuant de s’investir pleinement dans la gestion des dossiers. Simplement, certaines demandes en justice, certaines instances en cours sont freinées en raison du manque de dématérialisation suffisant du système judiciaire, notamment de la procédure.

Or, la procédure est un élément essentiel dans le déroulement d’un procès : en plus d’être le vecteur de l’information utile au juge, elle est la garante d’un grand nombre de droits fondamentaux du procès. Cela explique pour partie que la mise en place d’une procédure digitalisée ou dématérialisée ou encore « Paperless » nécessite une certaine réflexion de la part des autorités compétentes. Car le projet d’une « Paperless Justice » (dit JUPAL) au Luxembourg, lancé par M. Braz il y a plusieurs années, se voulait être une réforme ambitieuse, plus globale que la simple informatisation des procédures et devait dès lors s’étaler sur une dizaine d’années. Techniquement, le JUPAL regroupe treize projets pouvant être réalisés de manière plus ou moins indépendante. Par son ampleur, cette réforme est complexe et impose de tenir compte de nombreux paramètres : il faut, entre autres, budgéter les coûts d’une modernisation du matériel informatique, former le personnel, assurer la sécurisation des réseaux et la protection des données, garantir l’accessibilité à la Justice de l’ensemble des justiciables, créer un « portail de référence », réaliser l’open data des décisions de justice…, le tout dans le respect de la Charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires, adoptée par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe, le 4 décembre 2018. Qui dit projet ambitieux, dit souvent report dans le temps : la Ministre de la Justice a précisé en décembre dernier que le JUPAL ne serait pas « finalisé en 2023 » (comme initialement prévu) mais au cours des sept prochaines années.

Au début de la crise liée au Covid-19 en mars dernier, la digitalisation de la procédure n’était pas achevée, rendant difficiles voire impossibles les échanges entre la Justice et les justiciables. Les acteurs du monde judiciaire se sont alors fortement mobilisés pour trouver des solutions rapidement, accélérant par là-même la digitalisation des vecteurs d’information des juges. Ainsi, par exemple, la circulaire commune au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg et au Barreau de Luxembourg du 12 mars 2020 et les circulaires communes à la Cour Supérieure de Justice et au Barreau de Luxembourg des 18 mars et 2 avril 2020 ont développé le procédé des communications par voie électronique avec les institutions judiciaires. Ces mesures sont destinées à rester en place le temps des circonstances exceptionnelles. Dans ce contexte particulier, les avocats de l’Etude WILDGEN se sont montrés réactifs en appliquant les nouvelles modalités de transmission électronique, chaque fois que les circulaires le prévoyaient, dans l’intérêt du bon traitement des dossiers de leurs Clients.

Permettre les échanges par voie électronique entre les tribunaux et les avocats dans cette période de crise est primordial à la fois pour assurer la sécurité sanitaire des acteurs du procès mais aussi pour éviter un blocage complet de l’institution judiciaire. Hors temps de crise, une procédure digitalisée présente également des avantages incontestables, car elle permet une meilleure gestion du temps de l’avocat et une réduction des frais. L’avocat, en ne se déplaçant plus au tribunal pour accomplir les actes de procédure de base, ou s’y rendant beaucoup moins, gagne du temps, ce qui permet de diminuer le coût de ce type de prestations. Il faut rappeler que l’intelligence artificielle a commencé à s’implanter sérieusement dans la sphère juridique et que le travail de l’avocat était appelé à s’adapter, tôt ou tard, à ce nouvel environnement algorithmique. Ce qui implique que la complémentarité homme-machine doit être mise en avant, comme le dit si bien A. Garapon, « L’homme seul ou la machine seule ne seront jamais aussi efficaces que l’homme et la machine ensemble »[1]. Autrement dit, croire que les nouvelles technologies et l’open data en matière juridique remplaceront l’activité humaine et le recours à un professionnel du droit est illusoire. Evidemment, le fait que le Luxembourg ait mis en ligne, dans le cadre du projet JUPAL, en novembre dernier, 43.000 décisions sur le site du ministère, comme l’ont fait avant lui de nombreux pays, renforce l’accès à l’information. Seulement accessibilité n’est pas toujours synonyme de compréhension. En outre, pour trouver une réponse correcte, il faut savoir poser les bonnes questions au logiciel en fonction de la situation concrète : ce qui impose de cerner le problème, de connaître les qualifications juridiques, de maîtriser suffisamment la science juridique. Or ces compétences ne relèvent pas de l’algorithme mais de l’avocat qui, en plus, doit être capable de s’assurer a posteriori que le résultat proposé par l’intelligence artificielle ne comporte pas d’erreur manifeste.

Si cette complémentarité entre l’homme et la machine se révèle avec une certaine acuité aujourd’hui dans le cadre de la crise sanitaire que nous traversons, cette nouvelle utilisation des algorithmes dans le domaine juridique et judiciaire devrait se poursuivre et s’intensifier après la crise. Délesté des tâches procédurales répétitives et des recherches juridiques manuelles chronophages, l’avocat aidé de l’intelligence artificielle sera davantage disponible pour conseiller son Client sur la meilleure stratégie à adopter, parfaire l’argumentation du dossier, préparer efficacement les plaidoiries en vue d’entraîner la conviction du magistrat. Car qui sait convaincre, gagne !

[1] A. GARAPON, « Jusqu’où ira la justice prédictive ? », Droit et régulation, Décideurs Magazine, 5 juill. 2017.