Contrat de prestation de services versus prêt de main-d’œuvre

30 avril 2013 par
vanessa Icardi Serrami

Il est important pour une entreprise de s’assurer que le travail presté par ses salariés dans le cadre d’un contrat de prestation de services avec une autre entreprise ne peut pas être requalifié en prêt de main-d’œuvre illicite, d’une part afin d’être en conformité à la loi, et d’autre part, du fait des sanctions civiles et pénales encourues.

La différence entre le travail effectué par des salariés dans le cadre d’une prestation de service, et le même travail presté dans le cadre d’un prêt de main-d’œuvre est extrêmement mince en pratique. En effet, dans les deux cas, des salariés sont envoyés par leur employeur travailler pour le compte d’un tiers. Or, si la prestation de service ne pose pas de problème, le prêt de main-d’œuvre est strictement encadré par le Code du travail (articles L. 132-1 et suivants du Code du travail).

La définition de chacune des deux notions n’est pas d’une grande aide pour les entreprises :

Un « contrat d’entreprise » se caractérise par la prestation d’un travail ou d’une mission déterminé(e), d’ordre intellectuel ou manuel, à titre onéreux, qui implique une exécution sans aliénation de l’indépendance de celui [entreprise ou particulier] qui est appelé à l’exécuter1.

Un « prêt de main-d’œuvre » est la mise à disposition provisoire de salariés par une entreprise autre qu’une agence de travail intérimaire, auprès d’autres employeurs, dans les cas et sous les conditions strictement délimités par la loi. Ce n’est que dans les cas de prêt de main-d’œuvre licite2 (respectant les conditions prévues par la loi, dont l’une des conditions est que le prêt de main-d’œuvre soit temporaire) que l’entreprise utilisatrice est en droit d’exercer sur les salariés une part de l’autorité administrative et hiérarchique réservée normalement à l’employeur. Dans le cas d’un prêt de main-d’œuvre, l’employeur n’effectue aucune prestation de service pour l’utilisateur, hormis celle de mettre ses salariés à sa disposition.

Ces définitions ne permettent que difficilement de comprendre quelle est concrètement la différence entre un prêt de main-d’œuvre et un contrat de prestation de services.

 Or, cette différence est fondamentale, notamment du fait des sanctions encourues en cas de prêt de main-d’œuvre illicite. En effet, est interdite l’activité exercée en dehors de l’activité d’entreprise de travail intérimaire et de prêt temporaire de main-d’œuvre prévu par la loi, et qui consiste pour un employeur à mettre des travailleurs engagés dans le cadre d’un contrat de travail à la disposition de tiers qui utilisent ces travailleurs et qui exercent sur ces derniers une part de l’autorité administrative et hiérarchique réservée normalement à l’employeur (article L.133-1 du Code du travail).

En cas de violation de l’article L.133-1 du Code du travail, l’entreprise utilisatrice et la personne qui met le salarié à la disposition de l’entreprise utilisatrice sont solidairement responsables du paiement des rémunérations et de leurs accessoires ainsi que des charges sociales et fiscales y afférentes.

Par ailleurs, le salarié mis à disposition pourrait en principe arguer de l’existence d’un contrat de travail avec l’entreprise utilisatrice, s’il venait à prouver un lien de subordination avec cette dernière. De même, le Code du travail prévoit la nullité du contrat de travail3 du salarié qui a été engagé pour être mis à la disposition d’un utilisateur.

Enfin, toute personne qui met des travailleurs à la disposition d’utilisateurs en violation des dispositions de l’article L.133-1 du même code, est passible d’une amende de 500 à 10.000.- EUR, et, en cas de récidive, à un emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une amende de 1.250 à 12.500.- EUR ou d’une de ces peines seulement. L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs à l’égard desquels les dispositions de l’article L.133-1 ont été violées4.

Il est partant indispensable, pour toute entreprise prestataire de services ou bénéficiaire de services, de bien connaître les indices concrets lui permettant de mieux qualifier ses relations commerciales :

Objet du contrat

Dans le cadre d’un prêt temporaire de main-d’œuvre, l’opération mise en œuvre vise seulement à répondre à un besoin de main-d’œuvre, alors qu’un contrat de prestation de service doit avoir pour but de permettre à l’entreprise utilisatrice de bénéficier du savoir spécifique de l’entreprise sous-traitante. Lorsque le savoir-faire spécifique est attaché à une personne, il est possible que le contrat de prestation de services subordonne la réalisation de la prestation à la participation effective de cette personne nommément désignée.5

Activités normales et permanentes du prestataire de service

Si par exemple le contrat de prestation de service a pour objet une activité de surveillance, et que cette activité rentre bien dans l’objet social de la société prestataire de service, selon ses statuts, le contrat de prestation de service est en principe valable à cet égard, car il relève de ses activités normales et permanentes. En revanche, lorsque le prétendu contrat de prestation de service ne rentre en réalité pas dans le cadre des activités normales et permanentes de l’entreprise, il ne s’agit pas d’un véritable contrat de prestation de service5.

Autorité hiérarchique

En cas de prêt de main-d’œuvre, l’employeur ne conserve pas toute son autorité sur les travailleurs. Les salariés de l’entreprise prestataire de services se trouvent placés sous l’autorité directe du personnel d’encadrement de l’entreprise utilisatrice et sont soumis à la discipline de cette entreprise.

Le fait que les employés du prestataire de services ne doivent être soumis qu’à l’autorité exclusive de ce dernier à l’exclusion de celle de la société utilisatrice est cependant à relativiser, étant donné qu’adopter cette position reviendrait à « empêcher l’activité de toute une série d’entreprises prestataires de services, les travailleurs d’une entreprise de nettoyage étant nécessairement soumis à une autorité quelconque de l’utilisateur, ne seraient-ce que les règles de sécurité »6.

Outils de travail

Dans le cadre d’un prêt de main-d’œuvre, les moyens et matériels de travail sont fournis par la société utilisatrice. Si le matériel et l’outillage sont fournis par l’entreprise utilisatrice, les tribunaux peuvent y voir le signe d’un prêt prohibé.

Dans le cadre d’un contrat d’entreprise, le prestataire de services utilise normalement son propre équipement pour mener à bien sa mission.

Cependant, il peut arriver qu’un certain matériel soit fourni par l’entreprise bénéficiaire de la main-d’œuvre, sans que cette circonstance remette en cause la qualification de contrat d’entreprise, si celle-ci a été établie par d’autres indices7.

Organisation du travail

La société utilisatrice de main-d’œuvre organise elle-même le travail de l’ensemble des personnes à sa disposition. Ainsi, dans le cadre d’un prêt de main-d’œuvre, c’est à l’entreprise utilisatrice qu’incombe pour partie la définition des tâches et l’organisation du travail des salariés. La société utilisatrice s’immisce dans l’organisation du planning quotidien des travaux à réaliser par les salariés, à l’inverse du contrat de prestation de service.

Dans ce dernier cadre, dès lors que la prestation de services suppose une obligation de résultat, il appartient à l’entreprise prestataire seule de s’organiser pour parvenir à cette fin. L’entreprise utilisatrice ne doit donc pas s’immiscer a priori dans la réalisation de cette mission.8

Contrôle de l’exécution du travail

Il y indice de prêt temporaire de main-d’œuvre lorsque l’entreprise utilisatrice contrôle l’exécution du travail fourni par les salariés, et fait des remarques quant à la qualité du travail ou quant à la tenue des salariés.

Cependant, il convient de tenir compte de la réalité du terrain. Ainsi, étant donné que la société prestataire de service est tenue de fournir une prestation conforme au cahier des charges (par exemple, la fourniture de personnel pour le nettoyage de chambres d’hôtel), l’entreprise utilisatrice a le droit de vérifier la qualité du travail fourni par la société prestataire de service. Il est certes vrai que le contrôle une fois effectué, l’entreprise utilisatrice devrait en principe d’abord s’adresser au team Leader de la société prestataire de service, qui devrait à son tour charger les salariés d’exécuter leur travail selon les exigences du maître de l’ouvrage. Il est cependant admis qu’une telle démarche n’est pas toujours compatible avec un travail efficace, alors qu’exiger cette procédure fastidieuse reviendrait à ne pas vouloir tenir compte de la réalité du terrain. En effet, certaines remarques faites par le personnel de la société utilisatrice sont parfois nécessaires dans le cadre de la nécessaire collaboration devant prévaloir entre les parties contractantes. Ainsi, l’entreprise utilisatrice peut s’assurer auprès des salariés que le contrat de prestation de service est bien respecté.9

Logement et déplacements

Le fait que la société utilisatrice fournisse aux salariés le matériel nécessaire à leur travail, assure leur logement et organise leur déplacement, est un indice d’un prêt temporaire de main-d’œuvre10.

Travail exclusif pour l’entreprise utilisatrice

De même, il y a indice de prêt de main-d’œuvre lorsque les salariés travaillent exclusivement pour l’entreprise utilisatrice depuis des années10.

Gestion des absences

Les situations suivantes tendent à démontrer l’existence d’un prêt temporaire de main-d’œuvre :

 -   Les salariés envoient leurs certificats médicaux en cas d’incapacité de travail à l’entreprise utilisatrice, au lieu de les envoyer à leur employeur

 -   Les salariés demandent leurs congés à l’entreprise utilisatrice, qui les leur accorde, ou pas.

 -   L’entreprise utilisatrice s’immisce dans la gestion du congé à accorder au personnel du prestataire de service, alors que cette prérogative relève de cette seule société. Or, si la société utilisatrice doit tenir compte, dans sa gestion, des contingences liées aux nécessités du fonctionnement de l’entreprise, compte-tenu notamment du nombre de personnel propre à sa disposition ainsi que de celui de l’entreprise prestataire de service, cette circonstance n’entre pas dans le cadre de la nécessaire collaboration entre les deux sociétés, mais au contraire dépasse le cadre ainsi autorisé, l’entreprise utilisatrice décidant d’accorder ou non telle ou telle journée de congé.

 -   Le fait que l’entreprise prestataire de service ne fasse pas correctement son travail, ce qui oblige l’entreprise utilisatrice à parfois prendre les choses en mains, ne justifie pas une telle immixtion, étant donné d’une part qu’elle a la possibilité de dénoncer le contrat, mais surtout que d’autre part la loi ne fait pas de distinction entre les causes ayant amené la société utilisatrice à exercer une part de l’autorité administrative et hiérarchique sur le personnel ainsi mis à sa disposition.

A l’inverse, il y a en principe contrat de prestation de services dans les cas suivants :

 -   Les salariés envoient leurs certificats médicaux en cas d’incapacité de travail et demandent leur congé exclusivement à leur employeur, qui est le seul à pouvoir le leur accorder ou pas (les salariés peuvent prévenir également par ailleurs l’entreprise utilisatrice, du fait de la nécessité d’avertir la personne avec laquelle ils travaillent quotidiennement).

 -   L’employeur est en mesure de prouver qu’il a exercé ses prérogatives à l’égard de ses salariés (possibilité de produire les décomptes des jours de congé, les documents rappelant à l’ensemble du personnel les règles du report du congé, etc.)11.

En conclusion, il convient de noter que la légalité d’un contrat de prestation de service ne dépend pas seulement de la manière dont il est rédigé, mais également de la manière dont il est concrètement appliqué :

« Aux fins de déterminer s’il y a eu infraction à l’article L. 133-1. du Code du travail, en ce que, sous le couvert d’un contrat de louage d’ouvrage ou d’entreprise, qu’il convient de prendre en considération – il ne saurait en effet être fait abstraction dudit contrat qui forme la base des relations de travail entre parties et des rôles respectifs assumés par les prestataires et utilisateurs -, les parties contractantes auraient convenu d’une mise à disposition illégale du salarié, il incombe de rechercher si, en fait, l’exécution des tâches s’est effectuée selon les stipulations conventionnelles telles que ressortant dudit contrat ou si, au contraire, elle s’est faite, du moins en partie, sous l’autorité hiérarchique et administrative de la société cliente.12 »

Me Guy Castegnaro et Me Ariane Claverie

1. Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle 

2. Conformément aux articles L. 132-1 et suivants du Code du travail, un prêt de main-d’œuvre n’est autorisé que dans les cas limitatifs suivants

–     de menace de licenciement ou de sous-emploi des salariés de l’entreprise d’origine, ou

–     d’exécution d’un travail occasionnel dans la mesure où l’entreprise utilisatrice n’est pas à même d’y répondre par l’embauche de personnel permanent, (uniquement possible si les deux entreprises relèvent du même secteur d’activités), ou

–     de restructuration au sein d’un groupe d’entreprises, ou

–     dans le cadre d’un plan de maintien dans l’emploi, homologué par le ministre ayant l’emploi dans ses attributions, ou

–     à titre exceptionnel, lorsque la mise à disposition est couverte par une convention entre partenaires sociaux ayant qualité de conclure une convention collective.

En fonction de la durée du prêt de main-d’œuvre, une procédure d’autorisation ou de notification doit être respectée.

3. En cas de nullité du contrat de travail, l’entreprise utilisatrice et le travailleur sont considérés comme engagés dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée dès le commencement de la prestation de travail du salarié. Le salarié peut toutefois mettre fin au contrat sans préavis ni indemnité jusqu’à à la cessation de la mise à disposition de l’entreprise utilisatrice.

4. Article L.134-3 du Code du travail.

5. Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle

6. Cour de cassation française, Chambre criminelle, 3 mars 2009, n° de pourvoi: 07-81043 ; Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle ; Doc. parlementaires à la loi du 19 mai 1994, n° 3346-3, pages 18 et 26, cité par Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle.

7. Cour de cassation française, Chambre criminelle, 3 mars 2009, n° de pourvoi: 07-81043 ; Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle.

8. Cour de cassation française, Chambre criminelle, 8 juin 2010, n° de pourvoi: 07-87289 ; Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle ; Cour d’appel, 5 mars 2009, n°32539.

9. Cour d’appel, 5 mars 2009, n°32539.

10. Cour de cassation française, Chambre criminelle, 8 juin 2010, n° de pourvoi: 07-87289.

11. Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle et Cour d’appel, 5 mars 2009, n° 32539 du rôle.

12. Cour d’appel, 20 mai 2010, n° 34041 du rôle.