Cas pratique - Délégation du personnel

Par Laurent CHAPELLE, Directeur Général, RH Expert
2 juillet 2020 par
Emilie Clément

I. ENTREPRISES DE MOINS DE 100 SALARIÉS: ÉLIGIBILITÉ, MANQUE DE CANDIDATURE ET VOTE PAR CORRESPONDANCE

Aurélie, DRH d’une société de 80 salariés, doit organiser les futures élections de la délégation du personnel le 12 mars 2019, comme prévu par le nouveau règlement grand-ducal du 11 septembre 2018. Après l’affichage de l’avis d’élections le 12 février 2019 et l’ouverture des candidatures le 8 mars 2019, trois personnes ont manifesté leur intérêt et ont fait part de leur candidature isolée. Comme cela est précisé pour les sociétés de moins de 100 personnes, les candidatures doivent concerner des personnes éligibles et être signées par cinq salariés électeurs. Or parmi les candidats se trouve le fils de l’employeur de notre DRH.

Aurélie a également appris en formation que, pour le nombre de salariés présents, il faudrait élire quatre titulaires et quatre suppléants. Elle est donc inquiète par rapport à l’absence de candidats, car le nombre de titulaires à élire n’est pas atteint.

Autre sujet de préoccupation, l’organisation. Aurélie est perturbée par le constat que, le jour du vote, certains salariés seront en déplacement à la demande de leur employeur. Elle se demande dès lors comment gérer l’organisation du bureau de vote dont elle a prévu l’ouverture de 14 h à 16 h le 12 mars. En principe,  chacun des collaborateurs devrait s’y présenter et voter durant ses heures de travail. Elle a bien pensé au vote par procuration qui simplifierait les démarches pour les collaborateurs absents, mais a cependant un doute quant au caractère légal de la procédure.

Analyse

La volonté du fils de l’employeur de représenter le personnel de l’entreprise ne restera qu’une volonté. En effet, Aurélie va prendre le temps d’expliquer en tête à tête au fils de l’employeur que celui-ci ne pourra pas être élu en raison de son lien de parenté avec le dirigeant de la société. Elle devra lui faire comprendre que sa posture et son lien de sang peuvent s’avérer délicats pour la neutralité de la représentation du personnel. Et surtout, qu’elle ne peut valider sa candidature, malgré la volonté de Stéphane, car le Code du travail luxembourgeois ne permet effectivement pas qu’une personne ayant jusqu’à quatre degrés de parenté avec l’employeur soit élue.

En raison de la nouvelle situation, Aurélie se retrouve avec deux candidats seulement, elle sait qu’elle est en carence de titulaires et que, si personne ne se présente dans les délais réglementaires, la DRH devra informer les électeurs de cette carence et accorder un délai complémentaire de trois jours. Aurélie va donc dès à présent expliquer à l’ensemble des salariés l’importance d’avoir une délégation pour notamment construire un dialogue social, améliorer l’organisation de l’entreprise et assurer ensemble la santé et la sécurité au travail ou l’égalité des hommes et des femmes de l’entreprise.

Aurélie sait par ailleurs que, dans le cas où aucune nouvelle candidature ne se présente, elle doit rédiger un procès-verbal et en envoyer une copie à l’Inspection du travail et des mines (ITM) à la date des élections et qu’ensuite :

l’ITM procédera à une enquête au sein de l’entreprise ;

dans les deux mois suivant la date des élections, une désignation d’office sera réalisée par le ministre du Travail avec conseil du directeur de l’ITM.

Dans le cas où un nombre suffisant de titulaires et suppléants est proposé par le personnel (le nombre de candidatures proposées ne devant pas dépasser le nombre de personnes à élire), ces derniers seront élus directement s’ils se mettent d’accord sur la répartition des mandats (titulaires, suppléants, ordre de remplacement), sinon il sera procédé au vote.

Enfin, si Aurélie souhaite offrir à tous les salariés la possibilité de voter, elle a malheureusement constaté que le vote par procuration reste totalement impossible et interdit par la réglementation. De plus, elle craint que le fait de n’ouvrir les bureaux de vote que deux heures l’oblige à faire voter environ quarante personnes par heure, ce qui s’avère compliqué puisque ce créneau ne peut convenir à l’ensemble des collaborateurs en déplacement.

C’est dans cette phase de désarroi qu’Aurélie comprend qu’elle aurait dû envisager le vote par correspondance et, selon les modalités déterminées par le ministère du Travail, introduire une demande pour autoriser ce type de vote, valable uniquement pour les salariés absents de l’entreprise le jour du scrutin pour des raisons inhérentes à l’organisation du travail dans l’entreprise ou en raison de maladie, d’accident du travail, de maternité ou de congé. Elle a effectivement appris par son consultant RH qu’en plus de prolonger l’affichage des candidatures, cela aurait permis à Aurélie de faire voter les collaborateurs ne pouvant se rendre physiquement sur le bureau de vote, sachant que, si un salarié ayant eu l’autorisation de vote par correspondance se présente au bureau de vote, il devra remettre les courriers reçus personnellement pour le vote ainsi que l’enveloppe et les bulletins qui lui ont été transmis.

En résumé, dans ce cas précis, Aurélie est confrontée à trois problématiques. La présentation aux élections d’un parent de l’employeur, le manque de candidatures et le vote par correspondance. Elle espère que ces nouvelles élections se dérouleront sans encombre, car elle réalise qu’elle va avoir du mal à remplir les obligations d’employeur qui lui sont déléguées. En effet, en ouvrant son bureau de vote dans un créneau très court et en omettant d’appliquer les procédures préalables en vue d’un vote par correspondance, elle a pris le risque de ne pas permettre à tous ses collaborateurs d’élire leurs représentants durant leurs heures de travail, alors qu’elle avait la liberté de mettre sur pied des horaires plus adaptés.


II. ERREURS DANS LE MATÉRIEL DE VOTE ET NON-UTILISATION DE LA NOUVELLE PLATE-FORME

Fabien possède la double responsabilité de directeur général et de directeur des ressources humaines dans son entreprise de torréfaction de café de 150 salariés. Il organise les élections de la délégation du personnel aujourd’hui, le 12 mars 2019. Voulant les organiser dans les règles de l’art, notre dirigeant est certain d’avoir pensé à tout et a même commandé sur Internet le matériel de vote nécessaire. À la suite d’un problème de livraison, Fabien apprend que l’isoloir et l’urne ne seront livrés que le jour même de l’élection, une heure avant son commencement. Frustré, ce dernier installe déjà le matériel disponible : liste de pointage et procès-verbal vierge, instructions aux électeurs en plusieurs exemplaires, formulaires nécessaires au dépouillement, bulletins de vote, enveloppes en nombre suffisant par rapport au nombre de votants, enveloppes supplémentaires pour, à la fin de la journée des élections, rassembler les bulletins nuls, blancs et non valables et, enfin, tables, chaises, etc. Malheureusement, à l’arrivée de sa commande une heure avant l’ouverture du bureau, Fabien constate que le colis n’est pas le bon et qu’il n’a pas le matériel.

C’est à ce moment-là, alors qu’il ne reste plus que quelques minutes avant l’ouverture des bureaux de vote, qu’un observateur désigné au moment du dépôt de la liste par une organisation syndicale pour assister aux opérations électorales et s’assurer de la régularité des opérations électorales questionne Fabien sur l’organisation des élections. Il lui demande notamment si ce dernier a bien réalisé les démarches électroniques nécessaires pour la déclaration des élections. Fabien se souvient bien avoir reçu deux mois avant les élections un recommandé avec les codes d’identification, mais il ignorait qu’ils devaient servir à utiliser la plate-forme interactive sécurisée de l’État concernant les dépôts pour les opérations électorales. Il se rend compte à cet instant qu’il a omis cette nouvelle mesure. L’observateur constate encore que les noms des candidats ne sont pas inscrits dans l’ordre alphabétique sur les listes des candidats et que deux des noms de famille comportent des fautes de frappe. Dépassé par la situation, à quelques minutes de l’ouverture du bureau de vote, Fabien décide de bricoler une urne avec un carton opaque qu’il scelle avec du gros scotch, crée un coin pour s’isoler et espère que les élections pourront se faire de manière plus informelle, étant donné les liens de confiance qu’il a toujours tissés avec ses collaborateurs. Après la première heure d’ouverture du bureau, et sans beaucoup de passage des salariés, il apprend par l’un d’eux qu’une manifestation de l’autre côté de la frontière bloque les rues permettant l’accès à son entreprise.

Analyse

Fabien fait ici face à plusieurs événements de dernière minute. Pour ce qui concerne l’absence d’urne et d’isoloir, sécuriser l’urne pour qu’elle soit solidement impénétrable et installer un rideau dans le bureau de vote afin de délimiter un espace clos pouvant assurer une bonne confidentialité est effectivement accepté. Dans la réglementation actuelle, rien n’empêche en effet Fabien de réaliser lui-même le matériel nécessaire au vote, l’essentiel étant de permettre au salarié de s’isoler pour voter et de pouvoir ensuite glisser son bulletin dans une urne scellée.

Pour ce qui est des listes de candidatures, elles doivent être rédigées par ordre alphabétique. En outre, les fautes de frappe dans les noms des candidats sont inacceptables, et pas seulement parce qu’elles risquent de transmettre une mauvaise image de la direction aux collaborateurs spécialistes du café. En réalité, Fabien n’a rien fait du code d’identification qui lui donnait accès à la plate-forme et, s’il avait suivi les instructions, il aurait, au plus tard le 7 mars 2019, enregistré sur la plate-forme les candidatures valables des candidats (nom, prénom, profession, etc.). Cet enregistrement en ligne lui aurait permis de recevoir l’affiche reprenant les candidats aux élections de la délégation, et donc de présenter une liste correctement rédigée et sans erreur.

Au vu de l’ensemble de la situation, Fabien a poursuivi son élection, assuré le dépouillement et rempli le procès-verbal avec ses 30 informations obligatoires. Il aurait tout aussi bien pu rédiger un procès-verbal adressé à l’ITM stipulant qu’il annulait les élections de la délégation et s’engageait à recommencer l’ensemble du processus électoral en raison des manifestations qui perturbaient le trafic routier, ce qui constituait un empêchement pour les salariés désireux de se rendre dans le bureau de vote.

En conclusion, même si Fabien s’est montré de bonne volonté, il ne devait pas perdre de vue que l’élection des délégués du personnel est organisée et dirigée par le chef d’entreprise ou par son délégué et que, du fait qu’elle constitue un événement essentiel et symbolique dans la vie d’une entreprise, elle nécessite de s’intéresser aux dispositions et procédures légales qui l’encadrent. Si Fabien avait porté l’attention nécessaire au courrier reçu par l’ITM au sujet de la nouvelle plate-forme numérique, il aurait compris que celle-ci joue désormais un rôle dans le nouveau déroulement des élections. Au-delà de son caractère utile par sa dématérialisation, cette plate-forme permet d’effectuer un suivi des différentes étapes clés de l’organisation des élections. Il aurait ainsi su que, désormais, il est possible d’afficher la liste des candidats sur divers supports accessibles au personnel et réservés à cet usage, y compris les moyens électroniques comme le mail ou l’intranet.

Enfin, il est important de prendre en compte les éléments externes qui peuvent interférer dans le bon déroulement des élections. Si Fabien ne pouvait anticiper un aléa comme un mouvement social dans un pays voisin, il pouvait cependant commander le matériel nécessaire plus tôt et vérifier l’éligibilité des listes de candidatures, notamment en préparant la salle la veille et en vérifiant avec les deux assesseurs que les instructions affichées et les bulletins de vote correspondent à ses obligations. Si un recours est envoyé par lettre recommandée au directeur de l’ITM dans les quinze jours qui suivent le dernier jour d’affichage des résultats, il y a de fortes chances que la décision de ce dernier soit d’imposer de procéder à de nouvelles élections. De nombreux détails peuvent donc s’avérer cruciaux pour la validité des élections de la délégation et donc la continuité des relations salariales et sociales. Comme dirait Léonard de Vinci, « les détails font la perfection, mais la perfection n’est pas un détail. » Citation qui prend tout son sens, dans ce contexte électoral, n’est-ce pas ?

Revue pratique de droit social  n° 2 – Janvier 2019