9 mesures destinées à la relance du secteur immobilier

Source : Article publié dans l'édition de février 2024 de AGEFI Luxembourg
11 mars 2024 par
Legitech, LexNow

Par Zofia WHITE, Senior Associate, Allen & Overy


Le secteur résidentiel immobilier luxembourgeois est confronté à de nombreux défis avec un recul significatif des projets immobiliers et des transactions y relatives. En raison d’une baisse de la demande, l’activité de la construction est en crise, mettant en péril les emplois dans ce secteur. Pour faire face à ces défis, le gouvernement a annoncé le 31 janvier 2024 un ensemble de mesures de soutien pour les particuliers, pour le secteur de la construction ainsi qu’un paquet de mesures fiscales visant notamment à promouvoir l’accès à un logement propre, à stimuler l’investissement dans le logement locatif (surtout en ce qui concerne les biens immobiliers en vente en état futur d’achèvement, c.-à-d. sur plan ou en cours de construction (VEFA) (1)) et à promouvoir la gestion locative sociale.


Ces mesures mettent en œuvre les promesses de l’accord de coalition 2023 – 2028 du nouveau gouvernement en matière fiscale pour stimuler le secteur immobilier et font l’objet d’un projet de loi  (n°8353) déposé le 7 février dernier. Ces mesures se déclinent en deux volets : un volet temporaire, limité à l’année 2024, avec un effet rétroactif au 1er janvier 2024, et un volet structurel, pérenne. Elles visent à répondre aux besoins des différents acteurs, personnes physiques agissant dans le cadre de leur patrimoine privé : des acquéreurs (occupants ou investisseurs), cédants et locataires. En même temps, ces mesures s’ajoutent à l’adaptation du barème d’imposition des personnes physiques de 4 tranches indiciaires effective pour l’année d’imposition 2024.


Mesures en faveur de l’acquéreur-occupant

L’augmentation du crédit d’impôt pour l’acquisition d’une résidence principale


Le crédit d’impôt dit «Bëllegen Akt», qui, sous certaines conditions, permet aux personnes physiques qui acquièrent leur résidence principale de bénéficier d’une réduction des droits d’enregistrement et de transcription, passera de 30.000 à 40.000 euros par personne pendant l’année 2024. Ce crédit d’impôt est avantageux face aux droits d’enregistrement qui s’élèvent en principe à 6% du prix d’acquisition d’un bien immobilier, auxquels s’ajoutent 1% de droits de transcription. Il y a deux ans, ce crédit d’impôt s’élevait seulement à la moitié du montant prévu pour 2024, soit 20.000 euros par personne. Il avait déjà été augmenté à 30.000 euros par personne en mars 2023.


Ainsi, une personne seule pourra acquérir un bien immobilier jusqu’à 571.000 euros sans payer de droits d’enregistrement et de transcription, et un couple jusqu’à 1.142.000 euros. Le Ministre des Finances a précisé lors de la conférence de presse qu’une personne ayant déjà bénéficié du crédit d’impôt avant le 1er janvier 2024, disposera à nouveau d’un crédit d’impôt égal à la différence entre les 40.000 euros et le montant dont elle a bénéficié auparavant si elle souhaite acquérir une nouvelle résidence principale.


Augmentation de la déductibilité fiscale des intérêts débiteurs


À partir de l’année d’imposition 2024, les plafonds de déduction des intérêts débiteurs sur les crédits contractés pour financer l’acquisition d’un logement occupé par le propriétaire (ou destiné à être occupé par ce dernier), seront augmentés d’un tiers. Les montants y afférents, à multiplier par le nombre de personnes faisant partie du ménage du contribuable (le conjoint et chaque enfant), passent de 3.000 à 4.000 euros pour la première année d’occupation et les cinq années suivantes ; de 2.250 à 3.000 euros pour les cinq années subséquentes (6-10 ans) et de 1.500 à 2.000 euros au-delà.


Cette mesure vise à alléger la charge fiscale des ménages qui accèdent à la propriété en leur permettant de déduire une partie plus importante des intérêts payés sur leur crédit. A titre d’exemple, un ménage de quatre personnes pourra déduire 16.000 euros au lieu de 12.000 euros.


Mesures en faveur de l’acquéreur-investisseur

Un nouveau crédit d’impôt pour l’investissement dans le logement locatif


Un nouveau crédit d’impôt «Bëllegen Akt» sera créé pour encourager l’investissement dans le logement locatif. Il s’adressera sous certaines conditions aux acquéreurs-investisseurs qui achètent un bien immobilier en VEFA en 2024, et qui s’engagent à le mettre en location dans un délai de quatre ans pour une durée minimale de deux ans. L’investisseur-acquéreur devra présenter le contrat de bail dans les trois mois de sa signature à l’Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA (AED).


Le montant du crédit d’impôt sera de 20.000 euros par personne, soit 40.000 euros pour un couple. A l’image du crédit d’impôt pour les résidences principales, il sera déductible du montant des droits d’enregistrement et de transcription dus à l’occasion de l’acquisition du bien et sera remboursable en cas de non-respect des conditions prévues. Une demande écrite pourra être adressée à l’AED par les acquéreurs-investisseurs ayant acquis un bien éligible entre le 1er janvier 2024 et la date d’entrée en vigueur du projet de loi pour se voir rembourser les droits. Cette mesure vise à inciter les investisseurs à se tourner vers le logement locatif neuf, ce qui devrait soutenir les constructeurs qui se trouvent en crise. Il reste à voir si cette mesure contribuera aussi à la baisse des loyers qui se sont envolés récemment.


Augmentation du taux et de la durée de l’amortissement accéléré de certains logements


L’amortissement accéléré est un mécanisme qui permet aux acquéreurs-investisseurs de déduire fiscalement une partie du prix d’acquisition d’un bien immobilier mis en location pendant une période déterminée. Il s’agit d’une charge déductible qui réduit le revenu imposable du contribuable.


Un abattement dit «construction spécial» sera introduit et sera calculé sous forme d’un amortissement supplémentaire de 4% en l’année d’achèvement et les six années suivantes (qui s’ajoutera à l’amortissement de 2%, au total donc 6%). Il s’appliquera pour les contribuables ayant signé entre le 1er janvier et le 31 décembre 2024 un acte de VEFA d’un bien immobilier dont l’achèvement remonte, au 1er janvier de l’année d’imposition, à moins de six ans. A l’image du crédit d’impôt pour l’investisseur-acquéreur, l’amortissement accéléré promeut l’investissement dans le logement locatif neuf. Le gouvernement revient ici de facto à la déduction fiscale applicable avant le 1er janvier 2021 aux immeubles affectés au logement.


Contrairement au passé, le montant annuel maximum à faire valoir à ce titre sera maintenant plafonné à 250.000 euros.


Augmentation de l’exemption des revenus nets provenant de la gestion locative sociale


À partir de l’année d’imposition 2024, l’exemption des revenus nets réalisés en rapport avec des logements loués à travers des organismes conventionnés œuvrant dans le domaine de la gestion locative sociale (y inclus les promoteurs publics, ce qui englobe les communes ou les syndicats de commues) sera augmentée de 75% à 90%. Cela signifie que les propriétaires qui confient leur logement à un organisme de gestion locative sociale ne seront imposés que sur 10% de leurs revenus nets provenant de cette activité. Cette mesure vise à renforcer le nombre de logements disponibles pour les personnes en difficulté, ce qui s’inscrit dans les promesses de l’accord de coalition.


Mesures en faveur du cédant

Réduction du taux d’imposition des plus-values


Pour l’année d’imposition 2024, le taux d’imposition des plus-values immobilières non spéculatives sera réduit du demi taux global au quart du taux global, soit un taux maximal d’environ 10% (2). Le gouvernement revient ici à une mesure qui s’appliquait déjà pendant la période du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2018. Les plus-values sont considérées comme non spéculatives lorsqu’elles sont réalisées sur un bien immobilier détenu depuis plus de deux ans. En dessous de ce délai, les plus-values resteront imposées au taux progressif normal comme bénéfice de spéculation.


A partir du 1er janvier 2025, le taux d’imposition de plus-values immobilières non spéculatives passera à nouveau au demi taux global, soit à un taux maximal d’environ 21%, à condition que la durée de détention du bien immobilier dépasse cinq ans. En effet, le projet de loi prévoit d’étendre l’exigence de détention de deux ans à cinq ans pour la qualifier de cession non spéculative. Cette mesure vise à inciter les propriétaires à vendre leurs biens immobiliers en 2024, en leur offrant un avantage fiscal significatif tout en limitant la spéculation pendant les années à venir.


Immunisation (temporelle) de certaines plus-values immobilières


Les plus-values immobilières non spéculatives transférées pendant l’année 2024 sur les logements utilisés à des fins de gestion locative sociale ou sur des logements appartenant à la classe de performance énergétique A+ seront fiscalement immunisées. En d’autres termes, les propriétaires qui vendent un bien immobilier et réinvestissent le produit de la vente endéans un laps de temps prédéterminé dans un logement social ou un logement très performant sur le plan énergétique ne seront pas imposés sur la plusvalue dans l’année de réalisation, mais cette plus-value sera transférée sur ce nouveau bien de remploi (et imposée en principe au moment de la vente de ce dernier). Un régime similaire existait au Luxembourg jusqu’en 2015 et permettait le transfert d’une plusvalue immobilière sur un immeuble nouvellement construit destiné à des fins de location. Il faudra attendre un nouveau règlement grand-ducal pour connaître les modalités de cette mesure.


Extension du régime de l’exemption d’impôt sur les plusvalues au Fonds du logement


À partir de l’année d’imposition 2024, le Fonds du logement figurera parmi les cessionnaires auxquels un vendeur personne physique pourra céder son bien immeuble en exemption d’impôt (ce régime existe déjà pour les cessions au profit de l’Etat, d’une commune ou d’un syndicat de communes, à l’exception de terrains aliénés via l’exercice d’un droit de préemption). En d’autres termes, la plus-value immobilière, qu’elle soit spéculative ou non (c.-à-d. peu importe le délai de détention), dégagée sur une telle cession sera exonérée de l’impôt sur le revenu.


Mesure en faveur du locataire

Introduction d’une exonération fiscale partielle des primes versées à des fins de location d’un logement


Les primes versées mensuellement par un employeur à un salarié à des fins de location d’un logement (à occuper à titre de résidence principale) sont en principe soumises à l’impôt sur le revenu. A partir de l’année d’imposition 2024, une exonération à hauteur de 25% de ces primes sera introduite. L’exonération de la prime locative sera plafonnée à 1.000 euros par mois (déterminée pour une occupation par mois entier et à temps plein).


Ce régime sera réservé aux jeunes employés jusqu’à l’âge de 30 ans dont le revenu brut (à l’exclusion de la prime locative exonérée) ne dépasse pas 2,5 fois le salaire social minimum qualifié. Le montant versé par l’employeur ne peut pas non plus dépasser le montant supporté par le salarié au titre de son loyer, hors charges, tel que prévu par le contrat de bail. L’exonération partielle de la prime locative peut procurer au bénéficiaire un revenu net supplémentaire de l’ordre de 100 euros maximum par mois. Cette mesure vise à soutenir les jeunes actifs qui entrent sur le marché du travail et qui font face à des difficultés pour se loger, en raison du niveau élevé des loyers et de la concurrence sur le marché locatif.


Conclusion


Les nouvelles mesures fiscales pour relancer le secteur immobilier s’adressent aux personnes physiques actives sur le marché immobilier, en leur offrant des incitations, des allègements ou des exonérations fiscales, selon leur situation et leurs objectifs. Le gouvernement revient ainsi à certaines mesures qui ont fait leurs preuves en contribuant à la stimulation de la demande dans le passé. Force est de constater que l’augmentation de la limite de la faveur fiscale en matière de taux super-réduit de TVA (3%) applicable à la création de logements affectés à des fins d’habitation principale (et à certains travaux de rénovation) n’a pas encore été concrétisée tout en étant prévue par l’accord de coalition (actuellement, cette faveur fiscale ne peut pas dépasser 50.000 euros par logement créé ou / et rénové). Ces mesures pourraient avoir des effets positifs sur l’offre et la demande de logements, sur la mobilité du parc existant, sur la transition énergétique et sociale ainsi que sur l’activité économique du secteur de la construction.


Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’un éventuel danger subsiste : que les incitations en faveur de l’acquéreur-investisseur alimentent une nouvelle augmentation des prix de l’immobilier dans la mesure où les taux d’intérêt pourraient amorcer une baisse en 2024.


Il faudra attendre la table ronde promise pour le 22 février prochain (entre l’Etat, les communes et les acteurs de la construction) ainsi que les autres mesures à moyen et long terme qui en résulteront, bien au-delà des règles fiscales décrites dans cet article, pour appréhender si cette tentative de relance produira l’effet désiré de redonner de l’élan à un secteur en souffrance.



(1) Le nombre de transactions concernant les appartements en construction (VEFA) constaté au cours des trois premiers trimestres 2023 est cinq fois inférieur à la moyenne des années précédentes (PL n°8353, p.19 et 23).


(2) Un contribuable a aussi droit a un abattement décennal de 50.000 euros (ou 100.000 pour des époux imposés collectivement) qui est porté en déduction des plus-values, sans qu’il ne puisse en résulter une perte.