Réforme des congés extraordinaires et du congé pour raisons familiales : quelles conséquences en pratique ?

19 juin 2018 par
vanessa Icardi Serrami

Une loi du 15 décembre 2017 1) modifie les règles applicables en matière de congés extraordinaires pour raisons personnelles, de congé postnatal et de congé pour raisons familiales. Suite à la réforme du congé parental3) intervenue en  2016, le Gouvernement poursuit ainsi sa politique générale de modernisation des dispositions légales. Objectif : davantage de flexibilité dans les dispositifs existants pour un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, tout en tenant compte des réalités de la société actuelle. Les nouvelles règles sont applicables depuis le 1er janvier 2018 à tous les salariés du secteur privé ainsi qu’aux personnes en apprentissage.

1. Redistribution des jours accordés pour congés d’ordre personnel2) et nouvelles règles applicables au congé dit « de paternité »

Le congé accordé en cas de mariage d’un salarié est réduit de 6 à 3 jours, et de 2 à 1 jour en cas de mariage d’un enfant. Le congé pour déclaration de partenariat est quant à lui réduit de 6 à 1 jour pour un salarié, et supprimé quand il concerne un enfant. Cette inégalité de traitement est expliquée, selon les travaux parlementaires, par la légalisation du mariage pour tous intervenue en 2014, qui a justement permis aux personnes du même sexe d’officialiser leur union par le mariage et non plus uniquement par la déclaration de partenariat. Un choix politique, donc. A noter que dans la fonction publique, les congés pour mariage et déclaration de partenariat ne peuvent être pris que deux fois tout au plus au cours de la carrière de l’agent, ce qui permet d’en limiter le recours trop fréquent. Un dispositif non repris par la Loi applicable au secteur privé.

Concernant le congé pour déménagement, les 2 jours accordés ne peuvent désormais être pris qu’une fois sur une période de 3 ans passée auprès d’un même employeur, sauf s’ils sont justifiés par des raisons professionnelles. Enfin, le congé pour décès d’un enfant mineur est augmenté de 3 à 5 jours, et le congé avant enrôlement au service militaire est supprimé.

Les congés de paternité et d’adoption4) sont augmentés de 2 à 10 jours, alignant ainsi le Luxembourg sur ses voisins (Belgique : 10 jours, France : 11 jours) ainsi que sur les propositions de la Commission Européenne5). Selon le rapport de la Commission parlementaire6), le congé accordé « au père » dans le texte de Loi devrait bénéficier de façon générale au « deuxième parent » d’un couple hétérosexuel comme homosexuel, marié ou non, et notamment au parent divorcé/séparé ainsi qu’au beau-père/belle-mère assurant l’éducation de l’enfant ensemble avec la mère ou le père. La volonté affirmée du législateur est ici de permettre aux deux parents de s’entraider et de procéder à un véritable partage des responsabilités immédiatement après l’arrivée de l’enfant. Concrètement, le congé de paternité doit être demandé à l’employeur avec un préavis de deux mois, par écrit accompagné d’un certificat médical7), avec précision des dates prévisibles du congé. A défaut, le congé peut être réduit à deux jours par l’employeur. La Loi prévoit que, par exception aux autres congés extraordinaires8), les congés de paternité et d’adoption sont fractionnables et pris en principe selon les désirs du salarié dans les 2 mois de la naissance ou de l’accueil de l’enfant. Toutefois, à défaut d’accord de l’employeur justifié par les besoins de l’entreprise, le congé doit être pris en une seule fois et immédiatement après la naissance ou l’accueil de l’enfant. Concernant le financement, seuls les frais salariaux des deux premiers jours restent à la charge de l’employeur. Les 8 jours supplémentaires accordés par la Loi lui sont remboursés par l’Etat si l’employeur en fait la demande dans les cinq mois de la naissance ou de l’accueil de l’enfant9). Le salaire pris en compte pour ce remboursement est limité au quintuple du salaire social minimum pour salariés non qualifiés (soit un maximum de 9.992,93 €). En pratique, le préavis légal de 2 mois implique que les premiers congés de 10 jours seront accordés à partir du 1er mars 2018. Toutefois il a également été précisé que l’employeur qui accorde un congé de paternité de plus de 2 jours malgré le non-respect du préavis de 2 mois par le salarié, a droit au remboursement des jours avancés et dépassant les 2 jours minimum de congés.10)

2. Le congé de maternité postnatal et le congé d’accueil généralisés à 12 semaines

La durée du congé postnatal est portée de 8 à 12 semaines dans tous les cas et non plus uniquement en cas d’accouchement prématuré, multiple ou d’allaitement, et ce afin de ne plus défavoriser les femmes qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas allaiter. Le congé d’accueil11) est également porté à 12 semaines. A noter que lorsque les deux parents travaillent, ce congé d’accueil ne peut être accordé qu’à un seul des deux parents. Selon la nouvelle Loi, le parent qui ne bénéficie pas du congé d’accueil devrait alors en principe bénéficier du congé dit « de paternité » de 10 jours, accordé en cas d’adoption d’un enfant de moins de 16 ans12).

3. Nouvelles modalités applicables au congé pour raisons familiales (CRF) 

Pour faire face à la maladie d’un enfant à charge, chaque parent13) bénéficie désormais de 35 jours de CRF (30 jours avant la Loi), utilisables par tranches d’âge jusqu’aux 18 ans de l’enfant (15 ans avant la Loi). L’ancien système donnait droit à 2 jours par an qui étaient perdus en cas de non utilisation dans l’année. Désormais, les jours de CRF sont ainsi répartis : 12 jours par enfant âgé de moins de 4 ans, à prendre sur les 4 premières années de l’enfant (soit 3 jours par an en moyenne); 18 jours par enfant âgé de 4 ans accomplis à moins de 13 ans, à prendre sur les 9 années suivantes (soit 2 jours par an en moyenne); 5 jours par enfant âgé de 13 ans accomplis jusqu’à 18 ans accomplis, à prendre sur 5 ans et uniquement si l’enfant est hospitalisé14) (soit 1 jour par an en moyenne). Le congé est fractionnable, la fraction ne dépassant pas quatre heures n’étant mise en compte que pour un demi-jour.

La Loi définit l’enfant « à charge » comme tout enfant né dans le mariage, hors mariage ou adoptif qui au moment de la survenance de la maladie nécessite la présence physique d’un des parents. Les deux parents ne peuvent pas prendre un CRF en même temps. A l’instar du congé de paternité, le CRF devrait en principe bénéficier au parent divorcé/séparé, ainsi qu’au beau-père/belle-mère qui assure l’éducation de l’enfant ensemble avec la mère et le père, qu’il s’agisse de couples de sexe différent ou de même sexe15).

En pratique, concernant les jours de CRF déjà pris au 1er janvier 2018 sur base des anciennes dispositions, dans les tranches d’âge « 0 à moins de 4 ans » et « 4 ans accomplis à moins de 13 ans », la Loi prévoit que ces jours sont à déduire du nombre maximal de jours de congé familial attribués dans la tranche d’âge en question. Concernant le financement, l’indemnité de CRF est avancée par l’employeur qui se fait rembourser l’intégralité des charges salariales versées dans ce cadre auprès de la Mutualité des employeurs16).

La mise en œuvre de la réforme du CRF pourrait engendrer, selon les travaux parlementaires, une augmentation de 20 % des jours de CRF par rapport à 2014. En rapportant ce ratio au coût du CRF, qui a atteint près de 10 millions d’euros en 2014, on arriverait à un surcoût annuel de l’ordre de 2 millions d’euros17). Par ailleurs, cette réforme pose certaines questions pratiques. Par exemple, comment un nouvel employeur peut-il vérifier le nombre de jours de CRF déjà pris par un salarié ? Une vaste base de données existerait déjà, qui permettrait d’assurer correctement la gestion de personnel. La question de savoir comment le Gouvernement entend la mettre à disposition des employeurs a récemment été posée au Ministre ayant le travail dans ses attributions18). Une réponse est attendue pour le 23 février 2018.

Guy Castegnaro et Dorothée David

1. Loi du 15 décembre 2017 portant modification 1. du Code du travail; 2. de la loi modifiée du 31 juillet 2006 portant introduction d’un Code du travail, et abrogeant 3. la loi modifiée du 12 février 1999 portant création d’un congé parental et d’un congé pour raisons familiales, publiée au Mémorial A1082 le 18 décembre 2017 (« la Loi »).

2. Les congés extraordinaires pour raisons d’ordre personnel sont listés à l’article L. 233-16 du Code du travail.

3. Loi du 3 novembre 2016 portant réforme du congé parental, en vigueur depuis le 1er décembre 2016.

4. Les 10 jours de congés sont accordés en cas d’accueil d’un enfant de moins de 16 ans en vue de son adoption.

5. Proposition de directive concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil, adoptée par la Commission européenne le 26 avril 2017.

6. Rapport de la Commission du Travail, de l’emploi et de la sécurité sociale du 7 décembre 2017 concernant le Projet de loi n° 7060.

7. Le certificat doit préciser la date présumée de l’accouchement.

8. Les autres congés extraordinaires listés à l’article L. 233-16 du Code du travail doivent être pris en une seule fois moment où l’évènement qui donne droit au congé se produit.

9. La demande de remboursement des salaires ainsi avancés par l’employeur est à adresser, pièces justificatives à l’appui, au Ministre ayant le travail dans ses attributions.

10. Précisions gouvernementales disponibles sur Guichet.lu – Entreprises

11. Art. L. 234-56 du Code du travail, applicable en cas d’adoption d’un enfant de moins de 12 ans.

12. Le nouvel article L. 233-16, 7. du Code du travail précise qu’un congé de 10 jours est accordé en cas d’accueil d’un enfant de moins de 16 ans en vue de son adoption « sauf en cas de bénéfice du congé d’accueil prévu au Chapitre IV, section 8 du présent titre.». A contrario, le parent qui ne bénéficie pas du congé d’accueil devrait donc bénéficier du congé d’adoption de 10 jours.

13. Le CRF bénéficie à chaque travailleur salarié ou non salarié (travailleur intellectuel indépendant) ayant à charge un enfant, âgé de moins de 18 ans, nécessitant en cas de maladie grave, d’accident ou d’autre raison impérieuse de santé la présence de l’un de ses parents.

14. Pour les enfants atteints d’une ou de plusieurs affections constitutives d’une insuffisance ou d’une diminution permanente d’au moins 50 % de la capacité physique ou mentale d’un enfant normal du même âge, le congé pour raisons familiales dû par tranche d’âge est doublé. En outre, la dernière tranche d’âge s’applique sans limite d’âge pour ces enfants.

15. Rapport de la Commission du Travail, de l’emploi et de la sécurité sociale du 7 décembre 2017.

16. Les conditions et modalités de paiement du CRF sont détaillées sur le site de la CNS http://cns.public.lu/fr.html

17. Projet de loi n° 7060 : impact financier de la réforme du congé pour raisons familiales, document de travail IGSS annexé au Projet de loi déposé le 13 septembre 2016.

18. Question parlementaire n° 3581 : Réforme de congés, déposée le 23 janvier 2018.